L’Organisation des Etats américains (OEA) a approuvé, mercredi 1er juin, le retour du Honduras en son sein. Tegucigalpa en avait été exclu le 4 juillet 2009, à la suite du coup d’Etat qui avait chassé le président Manuel Zelaya du pouvoir, le contraignant à l’exil.
Cette décision résulte d’une « médiation » orchestrée par le président colombien Juan Manuel Santos, dans le cadre d’un rapprochement – parfois surprenant – avec Caracas. Profitant, le 9 avril, d’un sommet à Cartagena, M. Santos avait organisé une rencontre « inopinée » entre son homologue vénézuélien Hugo Chávez – proche de la résistance hondurienne – et le président de facto du petit pays d’Amérique centrale, M. Porfirio Lobo.
Rien ne laissait présager qu’elle porterait fruit : une semaine après l’élection de M. Lobo, le 29 novembre 2009, M. Chávez avait dénoncé un scrutin « frauduleux », puisque organisé par les putschistes. Il proclamait alors : « Le président du Honduras se nomme Manuel Zelaya (1). » Pour les mêmes raisons, l’Union des nations sud-américaines (Unasur) (2) choisissait de ne pas reconnaître l’administration Lobo (3).
Un commentaire n’avait toutefois pas échappé au pouvoir hondurien. Celui du ministre des affaires étrangères vénézuélien, M. Nicolás Maduro, lequel avait précisé qu’une normalisation avec le Honduras n’était pas envisageable… tant que M. Zelaya se voyait privé de ses droits politiques dans son pays (4). Or, le 9 avril, M. Lobo s’avère disposé à quelques concessions dans ce domaine.
A l’issue de la rencontre, M. Chávez se réunit avec M. Zelaya ainsi qu’avec M. Juan Barahona, porte-parole du Front national de résistance populaire (FNRP), qui coordonne l’opposition aux putschistes. L’objectif : envisager les modalités d’une « sortie de crise ». Quatre conditions émergent : 1/ retour de tous les exilés, dont M. Zelaya ; 2/ mise en place d’une Assemblée nationale constituante « participative et démocratique » ; 3/ démantèlement des structures issues du coup d’Etat et châtiment des putschistes ; 4/ reconnaissance du FNRP en tant que parti politique.
Très vite, M. Lobo autorise le retour de M. Zelaya. Pour le reste… Le 18 mai, Mme María Ángela Holguín, ministre colombienne des affaires étrangères, relativise le caractère contraignant des quatre « points » avancés par MM. Zelaya et Barahona. Après tout, précise-t-elle, « il ne viendrait à personne l’idée d’imposer des conditions à qui que ce soit » (5).
MM. Lobo et Zelaya poursuivent néanmoins les discussions. Réunis le 22 mai en Colombie, ils signent un texte ouvrant la voie à la réintégration du Honduras au sein de l’OEA : l’accord de Cartagena. Sur les quatre pages du document, le terme « coup d’Etat » n’apparaît qu’une seule fois (en référence à la formulation du verdict de l’OEA ayant conduit à l’éviction du Honduras). Si le point 7 mentionne la tenue d’une Assemblée nationale constituante, il la replace dans le cadre de l’article 5 de la Constitution qui encadre les consultations populaires. « Avec, toutefois, un léger bémol, souligne Maurice Lemoine (dans son reportage à lire dans le numéro du Monde diplomatique actuellement en kiosques). Si 2% des électeurs ou dix députés peuvent solliciter une telle consultation, c’est le Parlement qui décidera, en dernière analyse, si elle sera organisée ou non ! » Sur ce point, comme sur celui de la reconnaissance du FNRP en tant que parti politique – envisagée, mais soumise à un processus de collecte de signatures ainsi qu’à l’approbation du Tribunal suprême électoral (6) –, la résistance est donc renvoyée au fonctionnement « routinier » des institutions du pays. Celles-là même dont elle a appris à se méfier. Un détail ? M. Lobo signe le document en tant que « Président du Honduras » ; M. Zelaya en tant qu’« ex-président ».
Le rapport de force, national et régional, permettait-il d’obtenir « plus » ? La question demeure sans réponse évidente. Il n’en reste pas moins que l’accord de Cartagena ne convainc pas tout le monde. A droite, les « durs », hostiles à toute négociation, pestent. A gauche, également, certains doutent : un éventuel retour du Honduras au sein de l’OEA devait ouvrir la voie à au démantèlement du pouvoir putschiste. Outre le fait qu’il lui permet de compter sur des lignes de crédit et une aide internationale qui lui faisait cruellement défaut, ne risque-t-il pas, finalement, de légitimer l’administration Lobo ?
Le Conseil civique des organisations populaires et indigènes (COPINH) « condamne énergiquement la réintégration imminente du pays au sein de l’OEA » et appelle la population à « poursuivre ses efforts jusqu’au démantèlement des structures issues du coup d’Etat » (7). Après avoir participé aux tractations, M. Barahona annonce pour le FNRP que « toutes les conditions ne sont pas réunies pour que le Honduras réintègre l’OEA » (8). Un point de vue que partage l’Equateur, seul des trente-trois pays membres de l’OEA à voter contre le retour du Honduras en son sein, soulignant les violations des droits de l’homme et l’absence de sanctions contre les auteurs du putsch de juin 2009 (9). Le Venezuela fait état de « réserves », mais approuve la résolution…
La page qui s’ouvre verra le FNRP tenter d’obtenir sa reconnaissance comme parti politique de la part d’institutions qu’il avait jusqu’ici qualifiées d’illégitimes. Nul ne peut prédire l’impact de ce virage stratégique sur un attelage hétéroclite, jusque-là cimenté par sa dénonciation du coup d’Etat. Et puis, à supposer qu’il parvienne au pouvoir, de quelle marge de manœuvre disposera un nouveau Zelaya, désireux de mettre en œuvre un programme similaire à celui à celui qui lui a valu d’être renversé ? Les putschistes dorment sur leurs deux oreilles : M. Roberto Micheletti, qui les avait conduits en juin 2009, a été décoré du titre de « Premier héros national du XXIe siècle » par la puissante Association nationale des industriels honduriens, qui souhaitait récompenser « son combat pour que le Honduras ne tombe pas dans le socialisme » (10). En janvier 2010, le parlement hondurien lui accordait le statut de « député à vie ».
Le 28 mai, le retour de M. Zelaya dans son pays – une avancée indéniable – a donné lieu à des scènes de liesse à Tegucigalpa (11). Même accompagné de la réintégration du Honduras dans l’OEA, suffit-il pour conclure, avec le quotidien espagnol El País, que le Honduras « renoue avec la démocratie » (12) ?
Renaud Lambert
(1) « Chávez : Nos agarran como excusa para cualquier cosa », Noticiasaldia.com, 8 décembre 2009.
(2) Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela.
(3) « Canciller Nicolás Maduro afirma que UNASUR no reconocerá Gobierno de Lobo en Honduras », Venezolana de Televisión, 5 mai 2010.
(4) « Unasur no reconoce gobierno de Porfirio Lobo en Honduras », Cubadebate, 3 mai 2011.
(5) « Holguín afina con “Pepe” borrador de condiciones para retorno a la OEA », La Tribuna, Tegucigalpa, 18 mai 2011.
(6) Giorgio Trucchi, « Resistencia en Honduras anuncia creación de partido para las elecciones de 2013 », Opera mundi, 1er juin 2011.
(7) « Bienvenido Coordinador General del FNRP », communiqué du 26 mai 2011.
(8) « Frente de Resistencia se opone a readmisión inmediata de Honduras a la OEA », TeleSURtv.net, 30 mai 2011.
(9) « Deux ans après sa suspension, le Honduras est de retour », Agence France presse (AFP), 1er juin 2011.
(10) « Industriales declaran a Micheletti héroe nacional », El Heraldo, Tegucigalpa, 11 janvier 2011.
(11) Cf. « Manuel Zelaya, de retour en retour jusqu’au retour final », par Maurice Lemoine, Mémoire des luttes, 30 mai 2011.
(12) Pablo Ordaz, « Honduras recupera la democracia », El País, Madrid, 29 mai 2011.
Cette décision résulte d’une « médiation » orchestrée par le président colombien Juan Manuel Santos, dans le cadre d’un rapprochement – parfois surprenant – avec Caracas. Profitant, le 9 avril, d’un sommet à Cartagena, M. Santos avait organisé une rencontre « inopinée » entre son homologue vénézuélien Hugo Chávez – proche de la résistance hondurienne – et le président de facto du petit pays d’Amérique centrale, M. Porfirio Lobo.
Rien ne laissait présager qu’elle porterait fruit : une semaine après l’élection de M. Lobo, le 29 novembre 2009, M. Chávez avait dénoncé un scrutin « frauduleux », puisque organisé par les putschistes. Il proclamait alors : « Le président du Honduras se nomme Manuel Zelaya (1). » Pour les mêmes raisons, l’Union des nations sud-américaines (Unasur) (2) choisissait de ne pas reconnaître l’administration Lobo (3).
Un commentaire n’avait toutefois pas échappé au pouvoir hondurien. Celui du ministre des affaires étrangères vénézuélien, M. Nicolás Maduro, lequel avait précisé qu’une normalisation avec le Honduras n’était pas envisageable… tant que M. Zelaya se voyait privé de ses droits politiques dans son pays (4). Or, le 9 avril, M. Lobo s’avère disposé à quelques concessions dans ce domaine.
A l’issue de la rencontre, M. Chávez se réunit avec M. Zelaya ainsi qu’avec M. Juan Barahona, porte-parole du Front national de résistance populaire (FNRP), qui coordonne l’opposition aux putschistes. L’objectif : envisager les modalités d’une « sortie de crise ». Quatre conditions émergent : 1/ retour de tous les exilés, dont M. Zelaya ; 2/ mise en place d’une Assemblée nationale constituante « participative et démocratique » ; 3/ démantèlement des structures issues du coup d’Etat et châtiment des putschistes ; 4/ reconnaissance du FNRP en tant que parti politique.
Très vite, M. Lobo autorise le retour de M. Zelaya. Pour le reste… Le 18 mai, Mme María Ángela Holguín, ministre colombienne des affaires étrangères, relativise le caractère contraignant des quatre « points » avancés par MM. Zelaya et Barahona. Après tout, précise-t-elle, « il ne viendrait à personne l’idée d’imposer des conditions à qui que ce soit » (5).
MM. Lobo et Zelaya poursuivent néanmoins les discussions. Réunis le 22 mai en Colombie, ils signent un texte ouvrant la voie à la réintégration du Honduras au sein de l’OEA : l’accord de Cartagena. Sur les quatre pages du document, le terme « coup d’Etat » n’apparaît qu’une seule fois (en référence à la formulation du verdict de l’OEA ayant conduit à l’éviction du Honduras). Si le point 7 mentionne la tenue d’une Assemblée nationale constituante, il la replace dans le cadre de l’article 5 de la Constitution qui encadre les consultations populaires. « Avec, toutefois, un léger bémol, souligne Maurice Lemoine (dans son reportage à lire dans le numéro du Monde diplomatique actuellement en kiosques). Si 2% des électeurs ou dix députés peuvent solliciter une telle consultation, c’est le Parlement qui décidera, en dernière analyse, si elle sera organisée ou non ! » Sur ce point, comme sur celui de la reconnaissance du FNRP en tant que parti politique – envisagée, mais soumise à un processus de collecte de signatures ainsi qu’à l’approbation du Tribunal suprême électoral (6) –, la résistance est donc renvoyée au fonctionnement « routinier » des institutions du pays. Celles-là même dont elle a appris à se méfier. Un détail ? M. Lobo signe le document en tant que « Président du Honduras » ; M. Zelaya en tant qu’« ex-président ».
Le rapport de force, national et régional, permettait-il d’obtenir « plus » ? La question demeure sans réponse évidente. Il n’en reste pas moins que l’accord de Cartagena ne convainc pas tout le monde. A droite, les « durs », hostiles à toute négociation, pestent. A gauche, également, certains doutent : un éventuel retour du Honduras au sein de l’OEA devait ouvrir la voie à au démantèlement du pouvoir putschiste. Outre le fait qu’il lui permet de compter sur des lignes de crédit et une aide internationale qui lui faisait cruellement défaut, ne risque-t-il pas, finalement, de légitimer l’administration Lobo ?
Le Conseil civique des organisations populaires et indigènes (COPINH) « condamne énergiquement la réintégration imminente du pays au sein de l’OEA » et appelle la population à « poursuivre ses efforts jusqu’au démantèlement des structures issues du coup d’Etat » (7). Après avoir participé aux tractations, M. Barahona annonce pour le FNRP que « toutes les conditions ne sont pas réunies pour que le Honduras réintègre l’OEA » (8). Un point de vue que partage l’Equateur, seul des trente-trois pays membres de l’OEA à voter contre le retour du Honduras en son sein, soulignant les violations des droits de l’homme et l’absence de sanctions contre les auteurs du putsch de juin 2009 (9). Le Venezuela fait état de « réserves », mais approuve la résolution…
La page qui s’ouvre verra le FNRP tenter d’obtenir sa reconnaissance comme parti politique de la part d’institutions qu’il avait jusqu’ici qualifiées d’illégitimes. Nul ne peut prédire l’impact de ce virage stratégique sur un attelage hétéroclite, jusque-là cimenté par sa dénonciation du coup d’Etat. Et puis, à supposer qu’il parvienne au pouvoir, de quelle marge de manœuvre disposera un nouveau Zelaya, désireux de mettre en œuvre un programme similaire à celui à celui qui lui a valu d’être renversé ? Les putschistes dorment sur leurs deux oreilles : M. Roberto Micheletti, qui les avait conduits en juin 2009, a été décoré du titre de « Premier héros national du XXIe siècle » par la puissante Association nationale des industriels honduriens, qui souhaitait récompenser « son combat pour que le Honduras ne tombe pas dans le socialisme » (10). En janvier 2010, le parlement hondurien lui accordait le statut de « député à vie ».
Le 28 mai, le retour de M. Zelaya dans son pays – une avancée indéniable – a donné lieu à des scènes de liesse à Tegucigalpa (11). Même accompagné de la réintégration du Honduras dans l’OEA, suffit-il pour conclure, avec le quotidien espagnol El País, que le Honduras « renoue avec la démocratie » (12) ?
Renaud Lambert
(1) « Chávez : Nos agarran como excusa para cualquier cosa », Noticiasaldia.com, 8 décembre 2009.
(2) Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela.
(3) « Canciller Nicolás Maduro afirma que UNASUR no reconocerá Gobierno de Lobo en Honduras », Venezolana de Televisión, 5 mai 2010.
(4) « Unasur no reconoce gobierno de Porfirio Lobo en Honduras », Cubadebate, 3 mai 2011.
(5) « Holguín afina con “Pepe” borrador de condiciones para retorno a la OEA », La Tribuna, Tegucigalpa, 18 mai 2011.
(6) Giorgio Trucchi, « Resistencia en Honduras anuncia creación de partido para las elecciones de 2013 », Opera mundi, 1er juin 2011.
(7) « Bienvenido Coordinador General del FNRP », communiqué du 26 mai 2011.
(8) « Frente de Resistencia se opone a readmisión inmediata de Honduras a la OEA », TeleSURtv.net, 30 mai 2011.
(9) « Deux ans après sa suspension, le Honduras est de retour », Agence France presse (AFP), 1er juin 2011.
(10) « Industriales declaran a Micheletti héroe nacional », El Heraldo, Tegucigalpa, 11 janvier 2011.
(11) Cf. « Manuel Zelaya, de retour en retour jusqu’au retour final », par Maurice Lemoine, Mémoire des luttes, 30 mai 2011.
(12) Pablo Ordaz, « Honduras recupera la democracia », El País, Madrid, 29 mai 2011.
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